La surcharge cognitive en milieu militaire : la comprendre et la gérer
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Le centre de recherche de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan et l’Institut de Recherche Biomédicale des armées ont co-organisé le 20 mars dernier une journée d’étude dédiée à la surcharge cognitive dans les armées. Les témoignages d’opérationnels, les exposés des chercheurs et la participation d’industriels ont permis d’identifier les mécanismes de la surcharge cognitives, et d’aborder ensuite les solutions qui pourraient aider les combattants.
Interview de Julie Albentosa, Chercheur en psychologie ergonomique à l’IRBA.
- Quelle est votre définition de la surcharge cognitive ?
La surcharge cognitive survient à partir du moment où les contraintes qui pèsent sur un individu sont plus élevées que les ressources dont ce dernier dispose pour y faire face. La surcharge cognitive du combattant peut survenir sous l’effet de différents facteurs tels que la pression temporelle, le type de mission, le climat, la topographie, le nombre d’informations à traiter, le manque d’entraînement. Le niveau d’expérience est crucial pour faire face à la survenue de la surcharge. Ainsi, lorsqu’un combattant peu expérimenté n’a pas encore développé de routines pour réaliser ses tâches, il sera plus rapidement mentalement saturé qu’un combattant expérimenté. Par ailleurs, pour un même combattant, une situation fortement exigeante peut rapidement excéder ses capacités cognitives attentionnelles ou mnésiques, comme le fait de devoir écouter des informations transmises à la radio et prendre des décisions tactiques.
Pour caractériser la surcharge cognitive, nous utilisons différents types de mesures complémentaires les unes des autres : subjectives (questionnaires interrogeant le ressenti des individus), physiologiques et/ou neurophysiologiques (ex. : électrocardiogramme, électroencéphalogramme) et de performances (ex. : nombre de réponses correctes, temps de réaction).
2. Quels impacts pour les combattants sur le terrain ?
Sur le terrain, les combattants sont souvent confrontés à des situations multitâches durant lesquelles ils doivent traiter de manière simultanée différentes informations. Les combattants qui sont cognitivement surchargés n’ont plus suffisamment de ressources pour traiter toutes les informations nécessaires à la bonne réalisation de leurs tâches. Ils n’arrivent donc plus à les réaliser correctement et efficacement, ils sont moins rapides et moins précis. L’altération de leurs performances peut constituer un danger pour leur sécurité et leur santé, en particulier sur des théâtres d’opération à fort risque.
3. Comment y remédier ? (les solutions)
Il est important d’identifier les situations pouvant générer une charge cognitive élevée, voire une surcharge pour agir sur deux leviers :
- Entraîner les combattants pour abaisser leur niveau de charge cognitive en automatisant les actions à réaliser et en acquérant des stratégies compensatoires. Une stratégie peut être de prioriser le traitement de certaines informations plus importantes que d’autres ;
- Concevoir les équipements avec une approche anthropocentrée, c’est-à-dire plus humanisée que technophile, de telle sorte à ce qu’ils soient adaptés aux capacités des combattants pour une utilisation optimale en opération. Avec la sophistication des équipements qui présentent de nombreuses informations multimodales (ex. : visuelle et auditive), il apparaît important de connaître la modalité qui sera la moins saturante pour le combattant, en fonction des situations qu’il rencontre.
4. Présentez-vous en trois mots vos dernières recherches et pour quels bénéfices ?
Le projet de recherche « Évaluation de la Charge Cognitive du cOmbattant Débarqué » (ECCODé), financé par la direction générale de l’armement (DGA), piloté par mes soins et la Pr. Françoise Darses, chef du département neurosciences et science cognitive à l’IRBA, vise à comprendre comment les chefs de groupe de l’armée de Terre passent d’une charge cognitive élevée à une surcharge. Pour ce faire, avec l’Aspirant Alexis R, doctorant VSSA, nous avons conçu deux dispositifs représentatifs de l’activité du chef de groupe débarqué d’une part en environnement simulé sur ordinateur, et d’autre part en environnement virtuel.
Nous avons testé l’effet du nombre de tâches simultanées (deux ou trois) et de la modalité de présentation de ces tâches (unimodales visuelles ou multimodales visuelle et auditive) sur la charge cognitive du chef de groupe. Selon les conditions expérimentales, le chef de groupe avait suffisamment – ou pas assez – de ressources résiduelles en réserve pour traiter un signal visuel, auditif ou tactile supplémentaire.
Les résultats ont montré que les chefs de groupe étaient en surcharge principalement en situation de triple-tâche, mais également en double-tâche multimodale (une tâche visuelle et une tâche auditive). Une explication est que la tâche auditive de transmission d’informations était probablement particulièrement coûteuse car les participants devaient garder en mémoire de travail les informations dites au fur et à mesure. La nature même de cette tâche a donc probablement influencé les résultats. On note d’ailleurs que les chefs de groupe n’avaient pas suffisamment de ressources pour traiter un signal auditif dès l’apparition de cette tâche de transmission d’informations. Les configurations les moins cognitivement saturantes étaient de présenter un signal tactile dans les situations multitâches unimodales visuelles et de présenter un signal visuel dans les situations multitâches multimodales. Ces résultats permettent d’orienter la conception des futurs équipements destinés aux chefs de groupe de sorte à présenter des signaux qui ne vont pas les saturer dans des situations qui sont déjà contraignantes pour eux. Le test des équipements retenus sera nécessaire pour évaluer l’impact sur la charge cognitive du combattant en activité opérationnelle.